LE JARDIN DE CHOUI ET LEIA

Parmi les grands ordres d'insectes, celui des punaises est peut-être celui qui a la plus mauvaise réputation.

Bien que beaucoup d'entre elles offrent des parures séduisantes.

Eurydema ornata (3) (punaise rouge du chou):

 

 

En général on déteste les punaises.

D'où leur vient cette exécrable renommée?

Elles la doivent d'abord aux horribles punaises de lit, Cimex lecturalius. 

Qui sont hématophages, piquent les hommes et infestent les matelas.

 

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Celles-ci, à moins d'être très âgé, nous ne les connaissons pas.

L'usage des insecticides et la généralisation de l'hygiène font qu'elles ont complètement disparu.

Pas tout-à-fait quand même, car la multiplication des voyages internationaux et la crise économique endémique nous les ramènent.

 

Les punaises de lit restent, en tout cas, extrêmement présentes dans l'imaginaire collectif.

Elles traînent, comme des fantômes, dans les pires interstices de l'histoire des hommes: extrême misère, déportation, cachots...

Bref, une horreur!

 

A côté des punaises de lit, celles que nous connaissons le mieux sont les punaises des bois, ou punaises vertes.

Nezara viridula (3) (punaise verte ponctuée):

 

 

Palomena prasina (3) (punaise verte des bois):

 

 

Celles-ci, nous les avons forcément rencontrées.

Elles pénètrent dans les maisons, l'été.

Leur vol, très bruyant, nous scie les oreilles.

Et il ne faut surtout pas les écraser, car elles ont la réputation de puer.

Stinky bastards!

 

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Bref, les punaises sont des insectes malodorants, agaçants, pénibles, voire très pénibles.

Ce sont des insectes nuisibles.

Nuisibles?

Pas tout-à-fait.

Si l'on se penche la planche du Grand Larousse Illustré, on constatera que LA punaise (En fait Cimex lecturalius, la punaise de lit) est bien rangée chez les nuisibles.

Contrairement à LA réduve (en fait: Reduviidae, 7000 espèces de punaises connues dans le monde), qui est rangée chez les utiles.

 

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Pourquoi LA réduve apparaissait-elle naguère dans les insectes utiles?

Parce qu'elle rend service à l'agriculture.

En effet, les réduves mangent des insectes qui eux-mêmes mangent des plantes.

Ci-dessous, un exemple de réduve.

Rhynocoris erythropus (3) (réduve à pattes rouges):

 

 

En fait, les réduves sont une belle saloperie.

Ce sont elles, en effet, qui transmettent la maladie de Chagas, responsable de 15000 décès par an sur la planète.

Mille fois plus que les requins.

En 1925, temps heureux (les années folles) et date de publication du Grand Larousse illustré, on s'inquiétait de la production de la paysannerie française.

Mais un peu moins de la survie des indigènes dans les colonies.

 

En réalité, pas de panique: la maladie de Chagas est transmise par des réduves du genre Triatoma, et ne concerne que l'Amérique du sud.

Même pas l'Afrique et les anciennes colonies françaises.

Nous pouvons dormir la conscience tranquille.

 

Revenons vers les punaises en général.

Au début de l'article, nous avons parlé de l'ordre des punaises.

Fake new, comme l'on dit maintenant!

Les diptères sont un ordre, de même que les hyménoptères, les lépidoptères, etc.

Les punaises, ou hétéroptères, ne sont pas un ordre.

Ce sont un sous-ordre de l'ordre des hémiptères.

Hémiptère étymologiquement signifie "demi-aile".

Cela fait référence au fait que bon nombre d'hémiptères présentent une différence entre la partie antérieure et la partie postérieure de l'aile supérieure.

 

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Essayons de voir çà en image.

Anoplotettix fuscovenosus (3):

 

 

Lygaes equestris (3) (punaise écuyère):

 

 

Cela n’apparaît pas très clairement?

Nous en convenons facilement.

Ce d'autant que certains hémiptères sont brachyptères (ailes très réduites).

Issus coleoptratus (3) (cigale bossue):

 

 

Voire aptères (pas d’ailes du tout).

Cinara strobi (2) (puceron géant):

 

 

Les anciens auraient mieux fait d'appeler les hémiptères "fellaroptères", c'est-à-dire insectes suceurs.

Hélas le verbe "fellare", déjà utilisé dans fellation, devait paraître trop connoté.

 

Le fait est que les hémiptères sont des insectes suceurs.

Ils se nourrissent d'aliments liquides, qu'ils aspirent à l'aide d'un rostre.

Les hétéroptères et les homoptères sont les deux sous-ordres de l'ordre des hémiptères.

Homoptère étymologiquement signifie ailes "à peu près identiques".

Dictyophara europea (3) (fulgore d'Europe):

 

 

Hétéroptère étymologiquement signifie "ailes différentes".

Dolycoris baccarum (3) (pentatome des baies):

 

 

Les punaises sont donc des hétéroptères.

Leurs ailes supérieures sont chitineuses (pseudo-élytres).

Leurs ailes inférieures sont membraneuses.

 

Par ailleurs, comme tous les hémiptères, ce sont des insectes piqueurs et suceurs.

Ce qui ne les rend pas extrêmement sympathiques.

Mais, en France, à l'exception de la punaise de lit, elles ne piquent jamais les hommes.

Elles peuvent s'attaquer aux autres insectes (espèces prédatrices).

Ce sont les punaises que l'on considérait, naguère, être des insectes "utiles".

Picromerus bidens (2) (punaise épineuse):

 

 

Ou bien aux végétaux (espèces phytophages).

Ce sont les punaises que l'on considérait "nuisibles".

Spilostethus pandurus (3) (punaise militaire): 

 

 

La réalité, c'est que les punaises participent de l'équilibre de n'importe quel écosystème.

Elles limitent la pullulation d'autres espèces, mais aussi régulent la végétation.

Elles sont présentes dans tous les jardins.

Même dans ceux qui se portent le mieux.

Alors, nuisibles?

 

Certaines punaises sont très fréquentes, et on peut difficilement les rater.

Graphosoma italicum (3) (punaise arlequin), qui joue au Milan A.C.:

 

 

Pyrrhocoris apterus (3), probablement la plus commune, appelée "gendarme".

 

 

Sans que nous ne sachions ni ne comprenions pourquoi on la surnomme ainsi.

Si quelqu'un possède la réponse, nous sommes preneurs.

 

 

(droits réservés)

 

La plupart des autres espèces de punaises sont inconnues des profanes.

Pourtant, elles sont là aussi, très variées, souvent photogéniques.

Elles ouvrent au débutant en entomologie les portes d'un monde mystérieux, bizarre, fascinant.

 

Certaines sont très petites.

Gonocerus acuteangulatus (2), sur le majeur de Yann, notre neveu:

 

 

D'autres assez grosses.

Leptoglossus occidentalis (3) (punaise américaine: 20mm), sur une fenêtre:

 

 

Beaucoup sont faciles à reconnaître.

Lygaes equestris (3) (punaise écuyère):

 

 

Encore que...

Raglius alboacuminatus (3):

 

 

D'autres le sont moins.

Adelphocoris lineolatus (2):

 

 

Les punaises montrent souvent un polymorphisme important.

Lygus pratensis (3):

 

 

Lygus pratensis (3) encore:

 

 

Souvent, les larves ne ressemblent guère aux adultes.

Nezara viridula (3):

 

 

Certaines sont assez moches.

Sciocoris sideritidis (2), même pas foutue de bien choisir son décor:

 

 

D'autres plutôt austères.

Legnotus limbosus (3) (punaise noire), perdue sur le bureau:

 

 

Mais beaucoup sont très belles.

Deraeocoris schach (2) (punaise à V rouge):

 

 

Eurydema oleracea (3) (punaise potagère):

 

 

Certaines se prennent pour le Christ et marchent sur l'eau.

Gerris lacustris (3) (patineur):

 

 

Elles n'ont pas pour mission de nous offrir les évangiles.

Mais par contre nous signalent l'absence de produits chimiques dans nos mares.

Ces derniers, en effet, modifient le surfactant et empêchent les gerris de se livrer à leurs prouesses.

 

D'autres se prennent pour Michael Phelps et nagent.

Notonecta sp. (3) (notonecte):

 

 

Certaines mettent à l'épreuve notre "mauvaise foi", quand leur identification s'avère difficile.

Strictopleurus abutilon (1):

 

 

Strictopleurus punctanervosus (1):

 

 

Certaines sont grises.

Rhaphigaster nebulosa (3) (punaise nébuleuse):

 

 

D'autres colorées.

Lygocoris pabulinus (2):

 

 

Certaines sont du coin.

Carpocoris mediterraneus (3) (pentatome méditerranéen):

 

 

D'autres semblent vraiment venir d'ailleurs.

Rhopalus subrufus (2):

 

 

Mais d'un ailleurs où elles n'étaient pas seules.

Rhopalus conspersus (2):

 

 

D'autres encore, armurées, semblent échappées d'un autre temps.

Rhopalus parumpunctatus (3):

 

 

Beaucoup nous offrent l'image d'un cœur.

Orthops basalis (3):

 

 

Et la plupart nous semblent être à l'origine de l'héraldique ancienne.

Dolycoris baccarum (3) (pentatome des baies):

 

 

C'est sans doute pour cela que certaines se permettent de rouler des épaules.

Coreus marginatus (3) (corée marginée):

 

 

Dans le jardin de Choui et Leia, il y a donc de nombreuses punaises d'espèces différentes.

De notre point de vue, cela est très encourageant.

Nous ne visitons le jardin en recherche d'insectes qu'une à deux fois par semaine, et nous ne cherchons pas particulièrement les punaises.

Comme elles se confondent avec la végétation, souvent nous ne les voyons pas.

Nous avons la conviction que nous en découvrirons d'autres, dont nous ignorons encore la présence.

Michel Butor écrivait: "Chaque mot écrit est une victoire contre la mort".

Au niveau du Jardin de Choui et Leia, chaque insecte nouveau découvert est une victoire contre la sixième extinction.